La famille Natu



Louis voulait devenir électricien.

Une profession peu courante en 1924. Spécialiste de l'apprentissage sur le tas, il s'est donc inséré dans une équipe d'électriciens. Agile, ignorant le vertige - il fallait grimper aux poteaux - mais prudent, doué du sens de la panne (dont certains de nos enfants ont hérité), il a vite pris des responsabilités. La première chose à faire était d'installer la « fée électricité » chez les parents de l'Arieth. Tout le monde rêvait de l'avoir chez soi.





Un jour, il dépose son alliance dans une petite boîte et dit à l'Arieth, la voix enrouée par l'émotion : « Uncollègue vient de se faire électrocuter sur un pylone à cause de sa bague. Je ne suis pas pressé de faire une veuve et des orphelins ».



Cette alliance est restée dans la petie boîte jusqu'à ce que je la porte pour mon propre mariage.




Quand mes parents se sont mariés, il venait d'être embauché à l'usine d'outillage de Tronville, la Goldenberg, délocalisée d'Alsace en 1914. Elle a fermé en 1936.


Ils s'installent tout d'abord dans une unique petite pièce. Le lit conjugal avait été confectionné par l'oncle Lucien dans un ancien fût à vin. Une nuit d'orage, le lit-barrique s'est mis à flotter. On dit que dans un couple, il faut « mettre de l'eau dans son vin ». L'orage s'en est occupé !




Le déménagement fut vite fait pour la rue de Latte à Tronville. Là aussi, Louis installe l'électricité, achète du bois, met en place son atelier. Il dispose de bons outils estampillés de l'oeil, marque de fabrique Glodenberg. Et quand quelqu'un s'extasiait en demandant s'ils avaient coûté cher, il répondait avec un clin d'oeil : « Oui, c'est à l'oeil ».




Pierre vient au monde en 1925. C'est un jour de fête au village que je suis née, en 1926. En 1928, une petite Madeleine est arrivée, si gentille, si jolie...




Voilà donc la famille Natu au complet. Nous avons eu une enfance heureuse malgré les difficultés, car tout se faisait toujours dans la tendresse.





Pendant la guerre, il aidait les familles de prisonniers. Il faisait des kilomètres à vélo pour aller donner un coup de main ici ou là, travailler aux champs ou faire des réparations. Il fallait bien suppléer aux absents et ne pas laisser la terre inemployée, alors qu'il y avait tant de problèmes de ravitaillement. Les jours sans école, le dimanche, croc ou bêche à la main, on l'accompagnait et on faisait de notre mieux, à l'exemple de notre père.




Ces journées de « suppléance » m'ont appris énormément de choses que l'on pourrait résumer ainsi : « accueille, aide, soutiens, écoute ceux que tu sens dans le besoin ».

On me dit que j'ai hérité de cette capacité. Oui, hérité, c'est tout. Le beau mérite que voilà !J'ai suivi l'exemple tout simplement.





Concernant les combattants de l'ombre, rien n'a filtré en famille durant toute la guerre. Nous avons appris ensuite que mon père n'était pas dévoué qu'aux siens, mais aussi capable de risquer sa vie pour une noble cause.




Il avait aussi quelques défauts. Fier, susceptible quand son honneur et sa responsabilité étaient en cause. Et il boudait, parfois plusieurs jours, lorsqu'il avait de sérieux problèmes. L'Arieth ne le supportait pas.


J'avais trouvé le moyen de l'obliger à reparler. Un déclic de confiance. Il faut dire qu'avec lui j'avais très vite ressenti une fibre de tendresse et de connivence unique. Nous la retrouverons au-delà de la dernière frontière. Combien de fois je l'ai senti à mes côtés, combien de fois m'a-t-il inspirée lors d'une grosse difficulté ou d'un chagrin !





Merci Natu, merci Maman !



Août 2007



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