Elucubrations~7


Le Voyage de Petit-Caillou




Par une nuit d’hiver, glaciale, le gel fend le rocher en haut de la montagne. Des éclats tombent : l’un d’eux, hérissé de pointes et d’arêtes vives, brille de ses points siliceux, à la lumière froide de la lune. Parmi d’autres, il erre au gré des éléments. La glace le libère, et le soleil l’invite à ce voyage, sur cette terre vivante, en constante réfection.


La fonte des neiges fait couler cette eau neuve et déplace Petit-Caillou. Avec la pluie, et entraîné sur la pente des monts, il rejoint le ru, puis est bousculé vers un autre ruisseau qui devient torrent. De roche en roche, ballotté, cogné sur d’autres pierres, il parvient à une chute qui le projette dans un petit lac. Déjà ses arêtes vives sont moins coupantes : il tourne dans cette cuvette liquide et s’arrête contre une branche immergée. Petit-Caillou se repose, sans doute, au fond des eaux claires ; les herbes le caressent au gré de l’eau ; il est avec ses semblables. A-t-il terminé son errance ?

Un orage éclate, le lac déborde et l’emporte sur la pente herbeuse, creusant un nouveau lit, déplaçant la terre. Des pierres sont déposées, d’autres poursuivent leur course, s’érodant mutuellement et parvenant à la rivière qui l’emporte au milieu d’un village de montagne. La vallée s’élargit, le courant ralentit. Les oiseaux viennent piéter sur les berges et s’ébrouer en pépiant. Les biches et les faons bousculent les cailloux de leurs fins sabots vernis. Le cresson ouvre ses feuilles brillantes.

Petit-Caillou s’arrête. Il est bien ! …





Les bottes du pêcheur, debout dans le courant, inquiètent la truite. Plus loin les enfants s’éclaboussent dans une anse sableuse. Le petit voyageur va vers son destin.

Un confluent l’accueille ; en aval, des rames le déplacent : il est bloqué dans les joncs.

La rivière est devenue fleuve… le martin pêcheur plonge et pousse le voyageur qui repart. Alternée avec le courant, une attirance contraire l’entraîne : le mascaret remporte la petite pierre dans un univers de sable, sans cesse secoué par le ressac. Tout lisse, Petit-Caillou est devenu galet, parmi d’autres, érodés comme lui.

Le chuintement du flux berce la fin du parcours du petit voyageur. Peu à peu il s’effrite et devient sable, au cours des siècles.

Ainsi va la vie, plus ou moins longue, mais inexorable, menée vers un but qui nous

échappe, mais qui nous attire, transformés, sur un plan différent.


in Les Voyages de Petit caillou, Elucubrations n°7, p. 102


piéter : se raidir sur ses pieds, dans une attitude de résistance.

mascaret : phénomène de brusque surélévation de l'eau d'un fleuve ou d'un estuaire provoquée par l'onde de la marée montante lors des grandes marées.


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