Mot pour mot~4




Courbes et volutes I




Si dans la nature, il y a des formes aiguës, effilées, pointues, il y a surtout des lignes sans angle, des fils enroulés, des crosses qui se déploient.

Depuis le port, le marin voit la courbe de notre planète en regardant la mer ; le croissant de lune luit ; le satellite suit son orbite ; après l’orage s’élance l’arc-en-ciel, alors que les boules de glace roulent en grêlons ; les crêtes et les creux dessinent les vagues, sous lesquelles roulent des galets.

En forêt, les champignons poussent selon un arc – appelé rond de sorcière - ; le bûcheron rassemble les rondins et s’arrête pour boire à la source, au creux de ses mains, sa paume s’arrondit sur l’orange, il a déjeuné de petits pois qui roulent sur la fourchette, il entame la courbe d’une pomme, grignote des grains de raisin où s’accroche une vrille, et une grappe de cassis ; le feu ralentit : s’en échappent de longues volutes de fumée.

Nous retrouvons les lignes douces dans les œufs de tortue, le frai des poissons, l’arc de leurs écailles, la courbe de la nageoire, le fuselé du corps conçu pour glisser.

Sous les ramures, le nid des oisillons – petites boules duveteuses -, l’ocelle des papillons, les bringeures des marcassins, le pelage tacheté du faon sont autant de courbes douces ; le velours des daims, l’époi des cerfs, l’arc des cornes des bœufs, l’enroulé des béliers forment des accents accrochés à leur tête.

Quel bel élan que ce vol d’hirondelles – que l’on nommait arondes ! Et que dire de l’œil rond des chouettes, l’arc de leurs plumets, la courbe de leurs ailes, de la roue colorée du paon ; et l’opercule de l’escargot, la volute de sa coquille, le trou de la souris sous les racines, la ronde queue du rat…




Les Pléïades

Juin 2003



Courbes et volutes II


En imitant la coupe des troncs d’arbres, l’homme a façonné la roue, la mollette du graveur, et la meule ; les pales d’aéronef s’inspirent de la courbe des samares, et le ballon des Montgolfier ressemble à une vesse de loup.

Le ventre en gésine – ne dit-on pas d’une femme qu’elle est gironde ? – deviendra courbe d’amphore ou panse de toupine ; le nid du tisserin donne idée au vannier, l’araignée suggère le filet ; le fuselé des muscles inspire la quenouille ; l’arc des sourcils pourrait être faucille ; les pétales de rose sont comme des cuillers ; la courbe de la campanule pérennise en jupe de cloche ; un pistil est maillet ; la pensée fleurit en frisottis de velours ; l’obier devient pompon ; le lotier un sabot.

La courbe du verre ballon, que l’on tient en main, permet d’apprécier la rondeur d’un vin dégusté ; la douceur d’un cocon de soie est comme la joue d’un bébé, l’arrondi d’une menotte ; la courbe de l’ancolie se retrouve en ogive ; un tonneau est un fût, comme l’arbre originel ; l’enroulement de l’écorce du bouleau inspire l’écoulement des eaux qui abreuvent ; la volute des fougères se retrouve dans les spirales du fer forgé.

Si nous savons apprécier toutes ces formes douces, qu’elles soient naturelles ou inspirées de la création, peut-être saurons-nous tirer leçon de cette harmonie, et accepter que la vie en communauté humaine oblige à émousser nos pointes d’ironie, calmer nos éclats agressifs, et offrir la gentillesse et la tolérance ; que l’on aimerait trouver en nous frottant aux autres, comme les galets usés par le ressac et si doux au toucher, comme une caresse ?



Les Pléïades

Juin 2003


époi : cor de cerf

lotier : fleur de la famille du lotus


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