Regain~4



La Couverture rouge



Qu’elle était forte, cette odeur de suint, quand j’entrais dans

le troupeau revenant de la colline, au soleil couchant !

J’accompagnais les brebis qui s’engouffraient dans la bergerie, comme si elles jouaient à qui arriverait la première à l’abreuvoir, et j’aimais avancer dans ce mouvant et chaud cocon, lourd de la toison et des pis gonflés.



Qu’elle était douce et légère, la laine que grand’mère Aline posait sur une grande toile ! Très tôt, j’ai appris, avec sa permission, à manier les cardes, alors que mes mains tenaient avec peine les manches lisses.


Qu’elle était jolie la satinette rouge, en long rouleau posé sur les planches soutenues par des tréteaux, avec la longue règle, la grande aiguille, les crayons pour dessiner le motif qui fera l’originalité de la couverture garnie de laine.

Qu’il était adroit, ce père trop tôt parti, chantonnant ou sifflant, en trilles et en roulades, comme un oiseau, pendant qu’il m’initiait à la confection de ce qui nous servait de couette.

J’ai appris tant de choses à le voir faire, comprenant très tôt qu’il fallait réaliser soi-même ce qu’il n’était pas possible d’acheter.



Avec quelle émotion, je déplie cette chère relique, bien des années après alors qu’aucun teinturier ne veut manipuler la satinette fanée et si usée ! Et c’est en pensant au berger de mon enfance, à mes grands-parents paysans, à Papa et Maman qui n’ont pas eu le temps de devenir chenus, que j’ai recouvert cette précieuse couverture d’une housse neuve, cousant à la main, en suivant les lignes du dessin, comme on marche dans les pas des anciens…




Les Pléïades

Août 1996


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