Maman a été nommée à son premier poste d'institutrice à Aubréville. Un village où les écoliers faisaient le trajet depuis chez eux en sabots. Ils les rangeaient sagement à côté de la porte pour chausser des pantoufles afin de ne pas salir le plancher de la classe.
Elle m'a souvent dit à quel point elle a aimé cette petite école, malgré la rigueur des hivers où il fallait faire appel aux familles pour fournir les bûches qui alimentaient le poêle. Et surtout elle bénéficiait d'un logement où son fiancé, un certain J.-J., venait lui rendre visite.
Enseigner le Français, dans une région où on parle principalement le "patois", était une fierté où n'entrait aucun chauvinisme. Seulement la certitude de doter les élèves d'un outil commun de communication et d'étude. Elle a eu la satisfaction de voir tous ses élèves présentés au Certificat d'Etudes recevoir leur diplôme.
Cette histoire de l'emploi obligatoire du Français à l'école a fait couler beaucoup d'encre. Je crois que les instituteurs de l'époque, munis de leur méthode de lecture Boscher - écrite soit dit en passant par deux institueurs bretons de Loudéac - ne pensaient qu'à donner loyalement aux jeunes dont ils avaient la charge le moyen de se sentir membres à part enitère d'une nation mise à mal par la guerre, surtout dans une région récemment redevenue française.
Cela m'a rappelé le fameux texte d'Alphonse Daudet La dernière classe, que je reproduis ici.
Et c'est encore Frédéric Mistral qui écrivait :
« Des Alpes aux Pyrénées et la main dans la main,
Poètes, relevons donc le vieux parler roman !
C’est là le signe de famille,
C’est là le sacrement qui unit les fils aux aieux
L’homme à la terre [...]
Car face contre terre qu’un peuple tombe esclave,
S’il tient sa langue il tient la clef
Qui le délivre des chaînes. »
Le Français avait ce rôle-là au sortir de la guerre : celui de clef pour l'unité, non plus contre la République parisienne méprisant les régions et leurs "patois", mais par et pour la République au nom du Peuple à égalité devant le droit à l'enseignement. Langue de la laïcité, de Voltaire, de Victor Hugo, de Renan, de Jaurès, moyen de s'approprier l'héritage de la Révolution...
Du moins était-ce la vision idéaliste d'une jeune institutrice à la Libération.
Aubvréville, mairie - Photo André Lagabe
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Alphone Daudet, contes du lundi
La dernière classe
Ce matin-là, j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand-peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment, l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs. Le temps était si chaud, si clair ! On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l'exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite vers l'école.
En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la cammandature ; et je pensai sans m'arrêter : « Qu'est-ce qu'il y a encore ? ». Alors comme je traversais la place en courant, le forgeron Watcher, qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria :
- Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt, à ton école !
Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel.
D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables : « Un peu de silence ! ». Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez si j'étais rouge et si j'avais peur ! Eh bien ! Non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :
- Va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi.
J'emjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la culotte de soie noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous : le vieux Hauset avec son tricorne ; l'ancien maire ; l'ancien facteur ; et puis d'autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauset avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.
Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit :
- Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine. Le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui, c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs.
Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! Les misérables, voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie. Ma dernière leçon de français ! Et moi qui savais à peine écrire ! Je n'apprendrais donc jamais ! Il faudrait donc en rester là ! Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur laSaar ! Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter.
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Texte original de F. Mistral en Provençal : « Dis Aup i Pirenèu e la man dins la man/ Troubaire, aubouren dounc lou viei parla rouman./ Acò’s lou signe de famiho,/Acò’s lou sagramen qu’is àvi joun li fiéu/ L’ome à la terro […]/ Car de mourre-bourdoun qu’un pople toumbe esclau /Se ten sa lengo ten la clau /Que di cadeno lou deliéuro. »
Babette, septembre 2007
1 commentaire:
Vérification faite, à Aubréville, la commune fournissait le bois de chauffage de l'école. Simplement les élèves allaient chacun leur tour au bûcher pour réapprovisionner le poêle.
C'est dans une autre affectation que les enfants devaient apporter de quoi chauffer leur classe.
Je confirme aussi que La Dernière classe est un bien une oeuvre d'Alphone Daudet et non pas des auteurs lorrains Erckmann-Chatrian comme on le pense souvent.
Voir le lien concernant ces auteurs sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Erckmann#Liens_externes
Annotation chauvine : Samuel a fréquenté l'école primaire Erckmann-Chatrian à Rosny-sous-bois (93)où Erckmann a vécu.
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