Ma naissance et autres histoires

Mémère Tavie et Maxime


Ma grand-mère Octavie a eu une vie très dure. Placée en ferme à 9 ans, un mari toujours sur les routes et qui buvait la paye, des fils de santé fragile et sans cesse à « tirer le Diable par la queue ». Et du boulot par dessus la tête à la maison et chez les gens.

Quand, usée par le travail, elle est venue habiter chez nous, grand-père Ferdinand et Maxime ont dû se débrouiller tout seuls. Mon père y allait tous les jours pourtant, voir si ça allait. Mais Maxime, mon parrain, n'était pas un homme solide. Il se retrouvait souvent sans emploi, peu enclin à en chercher et à faire ce qu'il faut pour le garder quand il en avait un. Ferdinand ne le soutenait guère, tout occupé de lui-même à lire le journal, à fumer, et surtout à boire.

Je lui disais : « Moi, je ne fumerai pas, ça me dégoûte et ça pue ». Je l'ai dit mais je ne l'ai pas fait...

Maxime n'a pas supporté de se retrouver sans "tuteur", sans sa mère pour l'épauler . Trop seul, il a mis fin à ses jours au cours d'une crise de delirium tremens.


Mémère Tavie, c'est moi qui suis restée avec toi quand on a mené Maxime en terre. C'est là que tu m'as raconté la perte de ton premier enfant. Tu ne pensais pas revivre un tel chagrin !

Et puis Maxime, qui n'avait pas la force de ses frères.Tu m 'as aussi parlé de l'enfance de tes fils, de tes petites et grandes joies. Tu disais : « Heureusement qu'il était là le Louis avec son humour, ses trouvailles, ses attentions ».




Histoires de prénoms


Louis était le boute-en-train. Dans la grande salle du bar-restaurant « Le soleil », pas un mariage, pas une fête locale, pas une rencontre de foot avec soirée, pas un carnaval sans que le Natu invente une idée pour mettre de l'ambiance. Souvent je disais à Maman « C'était bien la fête, il y avait le Père Noël qui m'a caressé la joue. Mais pourquoi Papa n'est jamais là quand il y a la fête ? » Et pour cause, c'était lui le Père Noël.


Il paraît que le jour de ma naissance, il y avait une pleine salle de fêtards. Il était de la partie puisque ça ne pouvait pas se faire sans lui. Mi-décembre, sur le verglas, il parcourait quelques centaines de mètres à intervalles réguliers, regardait entre les lames des volets, essayait d'entrer. Mémère Aline, ma grand-mère maternelle, le flanquait dehors. « Vas voir ailleurs si j'y suis ». En entendant gémir sa Nénette, il comprenait que ce n'était pas le moment, pas la peine d'insister. A la ènième visite, j'étais arrivée. Il y avait Pierre, ce fut Pierrette. Il est reparti à la fête, s'est mis au milieu de la salle qui a fait silence et a dit, les yeux pleins de lumière : « C'est une fille, Pierrette ! » Sans le savoir, j'ai été accueillie par de vivats.


J'ai souvent pensé « Heureusement que mon frère ne s'appelle pas Philémon ! ».




A propos de prénoms, il faut savoir qu'une tradition était née grâce à mon père dans le village. Il était d'usage, pour tous
ceux qui élevaient un cochon, de lui donner un prénom. A partir d'un moment, tous les cochons se sont appelés Adolphe.






Histoires de l'Occupation


Mon père était réformé à cause de son coeur. Pendant l'Occupation, il y avait tès peu d'hommes au village. Il est devenu corvéable à merci par la Kommandantur. A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, on cognait à la porte et il devait se mettre au service de l'occupant. Dans ces cas-là, mieux vaut faire le travail vite et bien si on tient à sa peau et à la sécurité de sa famille. Plusieurs fois il les a épatés par son efficacité et ses idées pour résoudre les pannes. Je ne crois pas qu'il ait eu un ausweis malgré le nombre de déplacements en tous lieux qu'ils lui demandaient de faire.


Justement, les laissez-passer étaient extrêmement difficiles à obtenir. Bien entendu, les accords ou refus n'étaient ni justifiés ni commentés. Quand mon frère a réussi l'examen d'entrée à l'école d'électriciens, il a dû aller étudier à Saint-Dizier. A mi-chemin, il fallait passer un barrage allemand. Mon père va demander un ausweis pour Pierre. On enregistre sa demande, et on lui dit « on vous l'enverra ».


Le papier frappé de l'aigle et de la croix gammée nous parvient la veille du départ. Au contrôle, sur la route, Pierrot sort un cageot de fruits, une bouteille et un lapin et il montre qu'il en emmène pour l'école. Et il s'en va. On le rattrappe. « Papiers bitte ». Il montre son papier de loin et file.


La semaine d'après, il déballe le ravitaillement, sort à peine le papier de sa poche, et ainsi de suite chaque semaine. Il passait même parfois sans contrôle quand il y avait trop de monde. La dernière semaine, il montre ostensiblement son papier, la sentinelle lui dit « Danke shöne », et lui fait faire demi-tour. Il était refoulé.

A la Libération, une amie de mes parents, alsacienne, qui servait d'interprète à Bar-le-Duc, éclate de rire lorsqu'il lui montre le fameux document. C'était écrit « ihr ausweis wird abgelehnt », ce qui veut dire : « Votre laissez-passer est refusé ».





Encore une histoire de vélo


Pierre a eu le sien pour son Certificat d'études. Il avait été reçu le premier du canton. Quelle fierté pour mes parents !

Ma soeur chérie a eu le sien d'occasion.

Et pour moi, mon père a rassemblé des morceaux dépareillés à droite à gauche. Des freins à rétropédalage, pas de sonnette, pas de garde-boue, pas de porte-bagage, mon gros cartable posé sur le guidon, je filais sur le verglas, sous la pluie battante ou dans la neige.



Rien ne m'arrêtait. Papa m'avait dit : « Tu ne risques rien et ton vélo non plus ». Je ne sais pas ce qu'est devenu ce vélo. Mais il m'a emmenée par monts et par vaux, et surtout par vaux en longeant l'Ornain pour Bar-le-Duc vers l'école d'instituteurs.






Août 2007




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour tous ces souvenirs partagés !